Solvay, Lucien
»Avant ›Salomé‹«
in: L’étoile belge, Jg. 58, Heft 76, Sonntag, 17. März 1907, S. 4

relevant für die veröffentlichten Bände: I/3a Salome, I/3b Salome (Weitere Fassungen)
AVANT « SALOMÉ »

La « première » de la Salomé de M. Richard Strauss, au théâtre de la Monnaie, est proche. Elle aura lieu très probablement samedi prochain, 23 courant (c’est la date fixée par la direction), et ne sera, en aucun cas, reculée au-delà du lundi 25.

D’ici là, on travaille tous les jours, dans la mise en scène et avec l’orchestre. Travail difficile et compliqué, auquel les artistes de la Monnaie prodiguent tout leur talent et, peut-on dire, tout leur enthousiasme. Ce drame ne comporte qu’un acte, mais cet acte dure près de deux heures, et son importance atteint, et dépasse même, celle des œuvres les plus considérables du théâtre lyrique contemporain.

Représentée pour la première fois à Dresde en décembre 1905, puis sur différentes scènes d’Allemagne, Salomé sera jouée à Bruxelles pour la première fois en français, – dans son texte original. Car, chose curieuse pour une œuvre musicale écrite par un Allemand, c’est sur un texte rançais [sic], concurremiment avec la traduction allemande, que M. Strauss a composé sa musique; et, chose non moins curieuse, ce texte français a été écrit par un Anglais, Oscar Wilde.

On se rappelle la représentation du drame d’Oscar Wilde, que vint donner au Parc, en 1896, la troupe du théâtre de l’Œuvre, avec Mlle Lina Munte et M. Lugné Poë, qui interprétaient les rôles de Salomé et d’Hérode. La pièce venait d’être créée à Paris et y avait produit une vive impression par son caractère étrange. Shakespeare, Flaubert, Leconte de Lisle et Maeterlinck semblaient avoir inspiré cette œuvre, d’une langue correcte et pure, mais très emphatique et très artificielle, qui se réclamait un peu faussement peut-être du Cantique des Cantiques, dont elle avait la prétention de renouveler le style imagé. En somme, Oscar Wilde s’était, pour le fond, borné à mettre en scène, en y ajou[t]ant à peine quelque chose de son propre rêve, la légende biblique, transformée peu à peu, à travers les siècles, par l’art et la tradition. C’est l’amour violent de la princesse Salomé pour Iokanaan, Jean le Précurseur, être sauvage et exalté, que le tétrarque Hérode, craignant son pouvoir mystérieux, a enfermé dans une citerne et rerefuse [sic] de livrer aux juifs ; amour effréné, qui s’exalte en un désir suprême, tenace, extatique : baiser la bouche du prophète. Ce sont, d’autre part, la haine d’Hérodiade (Hérodias) pour Iokanaan, qui la maudit et l’injurie, et la passion d’Hérode pour Salomé. Conflit terrible qui se dénoue par la plus effroyable des tragédies, celle que la légende a popularisée : Salomé dansant devant Hérode, puis réclamant, pour récompense, la tête du prophète, et baisant enfin, comme elle l’a voulu, sa bouche, sa bouche sanglante. Le poète la fait suivre d’un dénouement prévu : la mort de Salomé, qu’Hérode fait tuer par ses soldats.

De cette légende épique, Flaubert avait donné déjà une interprétation admirable, dans sa « nouvelle » célèbre, Hérodias. La musique de M. Richard Strauss y ajoute encore une intensité, une couleur, une puissance inattendues [sic]. L’impression aux répétitions a été tres [sic] grande, et tout fait prévoir que l’œuvre produira sur le public un gros effet.

On avait fait grand bruit, en Allemagne, avant qu’elle parût, du caractère spécial du sujet ; la vertu allemande s’était alarmée, – bien à tort ; les représentations de l’œuvre ont aussitôt calmé les esprits les plus farouches. En Amérique, la vertu yankee a été, comme on sait, plus chatouilleuse ; sans doute aura-t-elle trouvé que la danse de Salomé était trop différente des danses nègres et autres matchiches nationales …

C’est une véritable aubaine qui échoit à la Monnaie d’avoir la primeur de l’œuvre en français. Paris nourrit un moment l’ambition de la disputer à Bruxelles ; Salomé devait être jouée à l’Opéra, puis à la Gaîté ; tantôt on disait que ce serai en français ; puis il s’est agi du texte allemande ; et, en définitive, Salomé échappe aux Parisiens, qui pourront venir l’entendre ici, très facilement.

Et ils la verront dans les meilleures conditions. Nous saurons la semaine prochaine la façon dont les interprètes auront rempli leur tâche, particulièrement rude ; mais, dès à présent, nous pouvons croire qu’elle sera digne de l’œuvre. Quant à la mise en scène, qui n’est pas négligeable, elle a été l’objet des soins les plus minutieux de la part de M. Kufferath, qui s’en est occupé personnellement, avec notre excellent peintre M. Fernand Khnopff, dont la compétence pour tout ce qui concerne l’époque où se passe le drame est bien connue. Ce ne sera pas la mise en scène de Dresde, ni de Vienne, ni d’ailleurs. On s’en est inspiré ; mais, y prenant ce qu’elle avait de bon, on en a rejeté bien des détails de mauvais goût. L’Hérodias de Flaubert a été pour M. Kufferath une mine de renseignements précieux ; Flaubert avait étudié le « décor » de son sujet aux sources les plus pures, et les conseils d’Ernest Renan ne lui avaient pas été, sans doute, inutiles. Ce que nous verrons sera donc, en quelque sorte, une reconstitution parfaite, si l’on peut dire, du « milieu » légendaire. Et les costumes, dans l’unique décor, – œuvre de M. Delescluze, – mettront leur coloration et leur cachet artistiques. Ceux de Salomé, d’Hérodias, d’Hérode ont été faits d’après les documents authentiques. Celui de Iokanaan sera conforme à la figure que Donatello nous a laissée du Précuseur, – un costume pas riche, certes, mais respectueusement pittoresque : une simple tunique en poils de chameau …

On avait espéré avoir, pour les dernières répétitions et pour la « première », la présence du compositeur. Malheuresement, M. Richard Strauss est retenu à Berlin par son travail constant de chef d’orchestre à l’Opéra. Il sait d’ailleurs que M. Sylvain Dupuis ne le trahira certes pas. M. Strauss est venu ici, [l’é]té dernier, pour convenir des grandes lignes de l’interprétation. Quant au reste, l’orchestre de la Monnaie est familiarisé depuis longtemps avec sa musique. Toutes les œuvres symphoniques de M. Strauss ont été jouées aux Concerts populaires : Mort et transfiguration, Till Eulenspiegel, Don Juan, Ainsi parla Zarathustra, Don Quichotte, Symphonie domestique, etc. M. Richard Strauss aime les Bruxellois, qui ont été parmi les premiers à l’applaudir, et les Bruxellois ont toujours mainifesté pour lui une vive et juste admiration. La première œuvre dramatique de lui que nous entendrons viendra consacrer la gloire du jeune maître. Avant Salomé, il avait abordé la scène ; mais ni son premier drame lyrique, Guntram, œuvre sans personnalité encore, ni Feuersnoth, qu’il donna plus récemment et qui se ressentait fortement de Wagner, n’auraient pu le faire valoir complètement. Salomé révèle un maître dans toute la vitalité de son talent, ayant conquis la pleine possession de lui-même, et décidément le plus capable de recueillir la succession du grand disparu. Un des critiques les plus autorisés de notre temps a pu dire de cette œuvre, sans exagérer, que c’est « le drame musical le plus important et le plus significatif, – mieux encore, le seul drame musical que l’Allemagne ait vu paraître depuis Parsifal ».

verantwortlich für die Edition dieses Dokuments: Claudia Heine

Zitierempfehlung

Richard Strauss Werke. Kritische Ausgabe – Online-Plattform, richard‑strauss‑ausgabe.de/b45218 (Version 2021‑09‑29).

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