Sie betrachten gerade die aktuelle Version 2021-09-29 dieses Dokuments.

[Lucien Solvay [?]]
»Théâtre de la Monnaie. Salomé«
in: L’étoile belge, Jg. 58, Heft 85, Dienstag, 26. März 1907, Rubrik »LES PREMIERES«, S. 4

relevant für die veröffentlichten Bände: I/3b Salome (Weitere Fassungen)
[4]
THEATRE DE LA MONNAIE
Salomé

Un drame en un seul acte, qui dure deux heures, avec à peu près autant de musique qu’il y en a dans les partitions les plus importantes du répertoire … Et pourquoi pas ? Pourquoi cet acte serait-il jugé trop long et ce drame trop bref, si l’action s’accommode de cette allure, sans arrêt, si les passions s’y développent à l’aise, si le poète et le compositeur ont le souffle nécessaire pour soutenir jusqu’au bout l’attention du public ? … Tant mieux même, car voilà épargnés à bien des gens l’ennui des longs entr’actes, aux auteurs l’inconvénient de devoir recommencer chaque fois un nouvel effort, et aux directeurs de théâtre la dépense de plusieurs décors ! … Seuls, les chanteurs et les instrumentistes pourraient, si la chose se généralisait, trouver à se plaindre de spectacles qui ne leur laisseraient pas le loisir, tous les trois quarts-d’heure, de reprendre haleine et de se rafraîchir.

Admettons cependant que la tentative que vient de faire M. Richard Strauss soit une magnifique exception. On ne rencontre pas tous les jours un sujet se présentant dans un tel cadre aussi harmonieusement, d’une façon à la fois aussi succincte et aussi complète, et un musicien assez sûr de lui-même pour en tirer parti victorieusement. La Salomé d’Oscar Wilde a trouvé en M. Richard Strauss mieux qu’un illustrateur : le compositeur a recréé l’œuvre du poète ; il l’a transformée, il l’a grandie, il en fait une chose personnelle, neuve, toute différente … Voyons comment.

Faut-il rappeler la légende biblique, – Salomé, fille d’Hérodias, dansant devant Hérode et demandant, comme récompense, promise d’avance par un serment, la tête de Jean-Baptiste ? Elle est assez connue. Parmi les innombrables interprétations auxquelles, depuis des siècles, donna lieu cette suggestive légende, la plus saisissante est celle qui nous montre Salomé baisant les lèvres glacées et blêmes de sa victime. C’est cette interprétation qu’Oscar Wilde, à son tour, à reprise et développée, scèniquement.

Pourquoi le moyen-âge mystique voulut-il que Salomé baisât aux lèvres la tête de Jean ? « Par un raffinement de cruauté sadique », constate avec justesse M. Maurice Kufferath dans une remarquable étude publiée sur Salomé dans le Guide musical.1 Expliqué ainsi, l’acte de la courtisane n’aurait guère prêté à beaucoup d’émotion dramatique. Le poète anglais a compris, fort judicieusement, que le plus sûr moyen de donner au geste de l’héroïne un intérêt tragique, c’était d’en faire un geste d’amour.

Dans Flaubert, et ailleurs encore, Hérodias guide la volonté de Salomé ; ici, Salomé agit seule, domine le drame et le conduit. Belle, insouciante, volontaire, elle se sent aimée de tous. Un soldat syrien, du haut de la terrasse de Machaïrous, la dévore des yeux tandis qu’elle est là-bas, dans la salle du festin ; quand elle paraît, il l’enveloppe, de son amour, comme d’un encens ; mais elle ne prend même pas garde à lui, et, un peu plus tard, il se tuera à ses pieds sans qu’elle l’ait seulement remarqué … Elle n’a de curiosité que pour un prisonnier qui, du fond d’une citerne où on l’a enfermé, vocifère des imprécations ; elle voudrait le voir, cet homme audacieux, qui fait tant de bruit ; on refuse de le lui montrer, et alors son désir s’exalte, comme celui d’une petite fille capricieuse ; elle insiste, affolée et affolante … On tire le prisonnier de sa citerne, et la voilà face à face avec lui … Ce prisonnier, c’est Iokanaan, le prophète, le Précurseur, qui prêche la foi nouvelle et maudit les persécuteurs de Jésus. Et dès qu’elle aperçoit cet homme, hâve et décharné, mais superbe d’orgueil indompté, elle se sent prise (le coup de foudre !) d’une passion frénétique. Il la couvre d’injures ; et plus il l’injurie, plus elle brûle d’être aimée de lui. Combien cela est femme ! On nous parlera de fatalité, de rédemption, de je ne sais quel pouvoir mystérieux qui expliquerait l’attirance invincible de cette fille belle comme le jour vers cet homme divin. Soit ! Mais je m’en tiens de préférence à l’autre explication, la plus forte, parce qu’elle est la plus vraisemblable et la plus logique.

Salomé épuise tout son pouvoir, toute son éloquence, tout son charme : Iokanaan reste insensible, et ne cesse point de la maudire. Il redescend dans sa citerne. Alors, un revirement, bien féminin aussi, se produit dans le cœur de Salomé. Repoussée, humiliée, son amour se change en haine. Elle a voulu baiser les lèvres de Iokanaan : elle les baisera ! Justement, voici Hérode, amoureux d’elle, comme ils le sont tous en Judée. Hérode lui demande de danser … Oui, elle dansera ; mais, ensuite, Hérode lui donnera tout ce qu’elle lui demandera pour salaire. Hérode jure. Elle danse donc ; et quand elle a fini, elle réclame d’Hérode l’exécution de sa promesse : quoi donc ? des trésors, des bijoux, des provinces ? Non ; la tête de Iokanaan. Hérode frémit, conjure, supplie … Salomé est inflexible. L’ordre est donné. Iokanaan a la tête tranchée ; celle-ci est apportée à la danseuse, qui, passionnée toujours ; émue sans doute au fond de l’âme, mais triomphante dans son amour blessé et dans son orgueil, baise enfin, comme elle l’avait dit, la bouche du martyr.

Il ne me semble pas qu’il faille – tout au moins dans sa forme purement littéraire – donner à ce drame horrible de volupté hystérique, auquel le lointain de la légende prête suffisamment de grandeur, au lieu de la signification, très simple, qu’il a, je le répète, tout naturellement, une autre signification, qui hausserait l’héroïne d’Oscar Wilde, comme on l’a prétendu, au niveau des héroïnes d’Eschyle et de Shakespeare et en ferait l’instrument de « la grande fatalité tragique ». Par elle-même, par la vérité exaspérée du sentiment qui l’anime, cette figure possède, sans qu’il faille y insister, le caractère de synthèse, de généralisation ou de symbole, comme on voudra, qui l’élève au-dessus d’un personnage quelconque, et il est facile d’en dégager le sens universel. Indépendamment des contrastes obligés, – les deux religions, l’amour profane et l’amour divin, l’amour de la haine, la lutte entre le bien et le mal, – que lui fournissait le sujet, un musicien compréhensif comme M. Richard Strauss, nourri aux sources wagnériennes, ne pouvait manquer d’y découvrir plusieurs des idées chères au drame wagnérien, celle de la Rédemption, tout d’abourd, celle du « mystère de l’amour et du mystère de la mort », ensuite. En les dégageant, il a donné une force singulière, une éloquence inattendue à ce poème dont l’auteur n’eut, j’imagine, d’autre préoccupation que celle de présenter sous une forme scénique le fameux épisode légendaire, en mêlant les métaphores et les images du langage biblique, laborieusement et artificiellement accumulées, au naturalisme le plus ingénu. Tandis que Iokanaan parle comme un livre saint et que Salomé s’exprime comme le Cantique des cantiques, les autres personnages ne font guère de « manières » et appellent les choses par leur nom. Le ménage Hérode-Hérodias est tout ce qu’il y a de plus réaliste. Au reproche que lui fait le tétrarque d’avoir mal élevé sa fille, Hérodias répond : « Ma fille et moi, nous descendons d’une race royal ; quant à toi, ton grand-père gardait les chameaux ; c’était un voleur. » « Vous êtes ridicule avec vos paons ! » lui dit-elle plus loin : à quoi l’autre réplique : « Taisez-vous ! Vous criez toujours comme une bête. » Tous leurs colloques sont dans ce ton-là. Pour des gens de Cour, c’est un peu vif.

Le reste du poème est, dans sa forme, un pastiche flagrant de l’ancient style à répétitions de M. Maurice Maeterlinck : « Il ne faut pas la regarder, dit le page à Narraboth ; vous la regardez trop ; je vous prie de ne pas la regarder ; il ne faut pas regarder les gens de cette façon ; il peut arriver un malheur … » Et quand Salomé parle à Iokanaan : « Ah ! qu’est-ce qu’il va arriver ? Je suis sûr qu’il va arriver un malheur ! » Ailleurs : « Ton corps est blanc ; il n’y a rien au monde d’aussi blanc que ton corps … Tes cheveux sont noirs ; il n’y a rien au monde d’aussi noir[ »], etc. Et le signalement continue ainsi, jusqu’au bout. Puis encore : – « Vous êtes malade, dit Hérode, rentrons. – Je ne suis pas malade ; c’est votre fille qui a l’air très malade. » Hérode, vieux marcheur, ramolli et agité, parle comme Pelléas : « Vous dites cela pour me faire de la peine … Qu’est-ce que je voulais dire ? Qu’est-ce que c’était … Ah ! Je me souviens … Qui a pris ma bague ? Il y avait une bague à ma main droite … Qui a bu mon vin ? Oh ! Je suis sûr qu’il va arriver un malheur à quelqu’un. » Je crois bien ! Le brave homme vient de donner l’ordre de couper la tête à Iokanaan ; être décapité, ce n’est généralement pas une bonne fortune.

Heuresement, malgré son affectation de phraséologie et de puérilité, le poème d’Oscar Wilde est d’une matière dramatique, et, surtout, lyrique, admirable. M. Richard Strauss ne s’y est pas trompé. Il a senti tout ce qu’il y avait là d’essence musicale, et il l’a traduit en musicien. Entendons-nous, par quelques comparaisons, inévitables. Les musiciens d’opéras subordonnaient la musique au poème ; Wagner unissait les deux profondément ; chez lui, le drame naît de la musique autant que du poème. Un nouveau venu, M. Debussy, nous a donné récemment une œuvre où l’union est, dans un sens opposé, plus étroite encore ; dans Pelléas, le poème « absorbe » la musique. La Salomé de M. Strauss se rapproche beaucoup plus de l’art de Wagner que de celui de M. Debussy ; il s’éloigne même davantage de celui-ci, en ce qu’il accentue le principe wagnérien plus encore que n’avait fait Wagner. Le drame de M. Strauss est, tout entier, non seulement dans la musique, mais dans l’orchestre. Il ne se soucie guère d’être vocal. Si ce n’est dans quelques passages du rôle d’Iokanaan, qui est tout entier d’un caractère évangelique, plein de sérénité, l’intérêt est rarement dans le chant, où abondent les intonations scabreuses, presque fausses ; on pourrait presque supprimer les voix et les remplacer par de la pantomime. Wagner, souvent maltraité sous prétexte qu’il avait aboli le chant, est un Bellini à côté de M. Richard Strauss. Mais, cette « symphonisation » à outrance une fois admise, il faut avouer que le résultat auquel est arrivé le compositeur est réellement prodigieux. Il nous importe peu de distinguer les paroles qu’Oscar Wilde a mises dans la bouche des personnages, – il vaut souvent mieux que nous ne les saisissions pas – pourvu que nous comprenions ce que ceux-ci éprouvent ; et ce qu’ils éprouvent, l’orchestre nous le dit avec une éloquence souveraine. Les principales situations du drame sont même, chose digne de remarque, exprimées par la symphonie seule, toute parole cessant : ce sont la scène où Iokanaan apparaît à Salomé, celle où il redescend dans sa citerne, celle où Salomé danse (et cette scène-là est, prise à part, tout un drame, – le drame lui-même), et enfin, l’immense déploration finale de Salomé parlant à la tête coupée, où la voix, en somme, perdue parmi les voix de l’orchestre, n’a qu’un rôle superfétatoire. Ces quelques situations constituent l’œuvre, véritablement. Et c’est là que s’affirme la puissance du musicien, faisant pour ainsi dire quelque chose de rien, prenant le vain texte du poète comme un prétexte, et lui donnant soudain une portée imprévue. Les autres scènes, certes traitées avec un sens éprouvé du mouvement dramatique, ne sont que le lien qui unit entre elles ces quatre ou cinq grandes scènes lyriques.

Par l’agencement, la combinaison, la transformation et le développement de quelques thèmes caractéristiques, tout s’éclaire, prend sa valeur et sa signification. C’est le système thématique wagnérien ; mais M. Strauss a su en tirer un parti qui exclut toute impression d’imitation servile. Sans être d’une invention très rare, la plupart de ces thèmes s’imposent avec une radieuse clarté ; celui de l’amour (rappelant une phrase du second acte de Sapho, de Massenet), finit par les dominer tous superbement. Mais ce qui constitue la marque surtout personnelle de l’œuvre, c’est l’instrumentation, qui, malgré la similitude des procédés, n’a rien de la sonorité de celle de Wagner ; elle est d’une nouveauté et d’une souplesse de timbres parfois déconcertantes, avec des harmonies dont l’audace troublante, effrayante d’abord, se [résout] aussitôt en prestigieuses féeries.

Pour donner quelque relief à ces louanges, certaines réserves ne sont pas inutiles. La première, non la moins grave, à notre avis, concerne la subordination excessive, parfois pénible, de la parole à la musique. D’autre part, cette partition, conçue avec tant de hardiesse et construite si admirablement, je n’oserais dire qu’elle nous révèle un musicien-poète très pénétrant et très ému. En son expression très diverse, ajoutant la fantaisie, la langueur, le charme au pathétique et à la force, elle éblouit et subjugue, avant tout, par sa surprenante maîtrise, sa vie débordante et sa couleur intense. C’est, en un mot, l’œuvre d’un grand peintre, ayant une palette extraordinairement riche, éclatante et variée. Le tableau est, dans son ensemble, « composé » merveilleusement, d’une magnifique unité et d’un effet magique. Et plusieurs parties ont un pittoresque saisissant : la scène de la décapitation, le quintette de la dispute des Juifs, sont notamment, en leurs nuances bien différentes, de pures trouvailles. Il ne manque à tout cela qu’un peu de sensibilité, une douceur profonde, une émotion intérieure, qui ferait l’œuvre plus élevée encore, plus tendre et plus poignante.

Que de choses encore il y aurait à dire ! Mais il faut se borner. Qu’il nous suffise maintenant de constater l’impression considérable que Salomé à produite hier soir sur le public de la Monnaie. Il a écouté, deux heures durant, cette musique qui tour à tour enveloppe, violente et meurtrit, avec un intérêt croissant, et finalement s’est laissé dompter par elle sans résistance. Ajoutons qu’il n’a pas un seul instant paru scandalisé par le sujet, comme on le lui avait prédit, et que la tête du Précurseur, qui est une tête fort inoffensive, ne l’a point choqué. Il a acclamé l’œuvre et les interprètes avec enthousiasme. Nous avons dit déjà, après la répétition générale, le charme de la mise en scène et la vaillance extraordinaire des artistes. A l’orchestre de M. Dupuis revient la plus belle part du succès ; il avait la tâche la plus difficile, et il s’en est acquitté miraculeusement, dépassant même toutes les espérances et allant en cette circonstance au delà de ce qu’il avait jamais fait précédemment. Nous ne voyons guère d’orchestres qui pourraient faire aussi bien. Nous ne voyons pas non plus beaucoup de cantatrices capables de soutenir, comme a fait Mme Mazarin, le poids colossal du rôle de Salomé, avec une voix d’une résistance et d’une sûreté pareilles, et, de plus, en état, de le réaliser comme elle à la fois plastiquement et musicalement. M. Swolfs, de son côté, a prêté ses qualités d’excellent musicien au personnage ingrat d’Hérode, dont il a dessiné, en outre, la physionomie grotesque avec une vigueur et une verve remarquables. M. Petit est un Jokanaan [sic] noblement misérable et bien chantant. La jolie voix et la claire articulation de M. Nandès, – le seul que l’on comprenne, – donnent un joli relief à la figure du pauvre amoureux Narraboth, et Mme Lafitte est une Hérodias bien en gueule (je crois que c’est le mot de l’Ecriture Sainte). Enfin, les moindres rôles ont leur importance dans les ensembles terriblement compliqués, à rythmes et à mesures multiples, de Salomé : tout a été mis au point, et tout marche sans accroc, comme s’il s’agissait de la partition la plus simple du vieux répertoire.

Que vous dire de Mlle Boni ? Sa « danse des sept voiles » est un délice. On imaginerait malaisément plus de grâce ailée, de souplesse et de séduction. Elle a été une des grandes triomphatrices de cette soirée triomphale.

1Für die Edition der hier erwähnten Publikation siehe: richard-strauss-ausgabe.de/b44189.

Bemerkung

Der hier nicht ausgewiesene Autor ist möglicherweise Lucien Solvay – siehe die teilweise sehr ähnlichen Formulierungen in dessen Besprechung in: Le Ménestrel vom 30.03.1907. Edition siehe: richard-strauss-ausgabe.de/b45349.

verantwortlich für die Edition dieses Dokuments: Claudia Heine

Zitierempfehlung

Richard Strauss Werke. Kritische Ausgabe – Online-Plattform, richard‑strauss‑ausgabe.de/b45275 (Version 2021‑09‑29).

Versionsgeschichte (Permalinks)