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Schneider, Louis
»›Salomé‹ à Bruxelles. (PAR TÉLÉPHONE)«
in: Gil Blas, Jg. 28, Heft 10019, Dienstag, 26. März 1907, S. [3]

relevant für die veröffentlichten Bände: I/3b Salome (Weitere Fassungen)
[3]
« Salomé » à Bruxelles
(PAR TÉLÉPHONE)
Bruxelles, 25 mars, minuit

La, première de Salomé vient de se terminer sur les acclamations de la salle entière.

Je n’entreprendrai pas de faire à nouveau une analyse du drame d’Oscar Wilde ; j’en ai fait un long compte rendu lors de la représentation que Richard Strauss est venu conduire à Cologne au mois de juillet dernier.

Salomé est certainement une des œuvres les plus colossales qu’ait depuis bien longtemps produites la musique.

Je ne crois pas qu’on puisse par la puissance orchestrale arriver à pareille frénésie de beauté. L’auditeur est emporté dans le rut symphonique de Richard Strauss ; on sent là l’emprise du génie.

Musique sensuelle, si vous voulez. Mais en musique où commence le sentiment ? où finit la sensation ? Ne se prêtent-ils pas un mutuel appui ?

Sujet sensuel ! a-t-on dit aussi. Et qu’importe ? Par quelles phases de titillations musicales passe l’amour de Tristan avant de se résoudre dans les anéantissements extatiques de la mort ? Quelle est, d’autre part, la mentalité des dieux et des héros du Walhall ?

Il ne s’agit pas au surplus de discuter théorie quand on entend Salomé. Ce soir à Bruxelles comme chaque fois que j’ai réentendu Salomé, j’ai été pris par ces bouffées de chaleur qui montent de l’orchestre quand Salomé quitte la salle du festin ; j’ai été pris par l’exaspération, par l’hallucination morbide de cette Furie d’amour qui désire le Prophète [Iokanaan]. La volupté à la fois sadique et religieuse dont s’agite l’âme de Salomé est merveilleusement traduite par la musique. Puis, c’est l’arrivée d’Hérode, couard, pleutre, frissonnant au sortir de ce banquet où il à eu chaud, apeuré par la présence du Prophète. Il y a là des oppositions musicales, des hoquets et des frissons que la symphonie traduit à merveille.

La quintette des juifs qui épiloguent sur l’opportunité ou l’inutilité d’un Messie vient éclairer de sa verve gouailleuse cette sombre eau-forte.

Enfin Salomé se met à danser après avoir obtenu d’Hérode qu’elle aura le droit de fixer sa récompense. Et la danseuse évolue sur un rythme d’énervante lascivité, qui est caractérisé par un triolet bizarre, quelque chose comme un chatouillement, comme un aiguillon de chair. Car il y a tout cela dans cette musique.

Salomé épuisée s’est arrêtée. La tête de Iokannan [sic] tombe. Sur un effet bizarre et unique – une vraie trouvaille — un son harmonique exécuté par la contrebasse après un trémolo de timbales, Richard Strauss a noté la jouissance bestiale de Salomé, que dis-je, de la bête qui se venge. Et c’est alors comme une pâmoison à l’orchestre. Tandis que Salomé est vautrée à terre devant la tête déjà froide du Prophète, le thème d’amour surgit, s’étale et se fond en un assouvissement, en une douloureuse volupté.

Il ne semble pas qu’on puisse mieux exprimer musicalement l’exacerbation des sens que ne l’a fait Richard Strauss dans cette Salomé. Je n’irai pas jusqu’à soutenir que c’est là de la musique simple, mais il est cependant curieux de remarquer que cette écriture, toute morcelée qu’elle soit, toute bourrée d’épisodes, toute fragmentaire qu’elle paraisse, a cependant de l’unité, et l’on est écrasé par ce sens prodigieux de la construction qui caractérise Richard Strauss ; on est pris par la grandeur de cette architecture.

***

Salomé a été chantée pour la première fois en français, ce soir, au théâtre de la Monnaie.

L’honneur est grand pour MM. Kufferath et Guidé d’avoir mis sur pied cette œuvre colossale. Les directeurs du théâtre de la Monnaie prouvent une fois de plus qu’ils sont toujours à l’avant-garde de la musique. Dans les acclamations qui, par quatre fois, ont fait relever le rideau à là [sic] fin de Salomé, ils peuvent prendre leur large part.

Il faut aussi féliciter le chef d’orchestre, M. Sylvain Dupuis, qui a dirigé les études de cette partition si difficile et qui l’a conduite remarquablement.

Le décor fait honneur à M. J. Delescluze ; il est fort pittoresque, mais l’illusion aurait été plus grande s’il avait été moins éclairé.

L’interprétation est d’un ensemble artistique des plus louables. Mme Charles Mazarin prête sa jeune autorité au rôle de Salomé ; sa voix sonne bien dans le haut, peut-être un peu moins dans le grave. Le rôle de Salomé est, du reste, d’une étendue vocale que peu de chanteurs possèdent. Comme comédienne, Mme Mazarin est fort intelligente. C’est là une création qui lui fait honneur.

M. Swolfs, le ténor, chante Hérode avec une jolie voix, avec même une trop jolie voix. Il n’est pas non plus assez hideux ; il ne réalise pas suffisamment, à mon avis, le type de couard, de pleutre, de débauché, que doit avoir Hérode. C’est une erreur dont l’excellent artiste pourra facilement se corriger.

M. Petit, un premier prix de notre Conservatoire, il y a deux ans, s’est chargé du rôle du premier Kanzan.1 Il l’a fort bien composé ; il se sert d’une voix blanche, mais il est un des rares artistes qui articulent nettement.

Mme [Laffitte] chante vaillamment Hérodias, et les petits rôles sont tous confiés à des premiers sujets.

J’ai gardé pour la fin Mlle Ridra [sic], la ballerine à qui est confié la danse de Salomé.2 Elle est exquise de grâce, de légèreté, de lascivité même ; elle a joué son rôle autant qu’elle l’a dansé et a obtenu un très grand succès.

Je n’aurais garde d’oublier les masses, les modestes figurants. Ils prennent fort intelligemment part à l’action.

Bref, la soirée a été triomphale pour la musique de Richard Strauss et pour les directeurs de la Monnaie ; rien n’aura manqué à Salomé, pas même la polémique à propos de l’orthodoxie ; elle ne fera que pousser davantage à la réussite.

De nombreux Parisiens et des critiques avaient fait le voyage. Remarqué dans la salle : Mme Cahen d’Anvers, Mme Ephrussi, Mme Willy Blumenthal, le comte de Chevigné, M. Gabriel Astruc, éditeur de la partition pour la France, etc., etc.

Cette soirée précède pour nous tous les représentations de Salomé qui vont avoir lieu à Paris dans la seconde quinzaine de mai.

1Vmtl. auf Prunus Serrulata Kanzan, eine japanische Kirschblütenart, und somit auf eine besonders auffallend schöne Rolle verweisend.
2Die Tänzerin in Salomes Tanz in der Brüsseler Uraufführung war Aïda Boni.
verantwortlich für die Edition dieses Dokuments: Claudia Heine

Zitierempfehlung

Richard Strauss Werke. Kritische Ausgabe – Online-Plattform, richard‑strauss‑ausgabe.de/b45371 (Version 2021‑09‑29).

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