Dokumentation Gesangstexte
Salomé op. 54
Französische Fassung

relevant für die veröffentlichten Bände: I/3b Salome (Weitere Fassungen)
Edierter Gesangstext
Première Scène
Une grande terrasse dans le palais d’Hérode donnant sur la salle de festin. Des soldats sont accoudés sur le balcon. A droite, il y a un énorme escalier. A gauche, au fond, une ancienne citerne entourée d’un mur de bronze vert. Clair de lune.
(Rideau)
Narraboth
Comme la princesse Salomé est belle ce soir !
Le Page d’Hérodias
Regardez la lune. La lune a l’air très étrange. On dirait une femme qui sort d’un tombeau.
Narraboth
Elle a l’air très étrange. Elle ressemble à une princesse qui a des pieds comme des petites colombes blanches … On dirait qu’elle danse.
Page
Elle est comme une femme morte. Elle va très lentement.
(Bruit dans la salle de festin)
1er Soldat
Quel vacarme ! Qui sont ces bêtes fauves qui hurlent ?
2d Soldat
Les Juifs. Ils sont toujours ainsi. C’est sur leur religion qu’ils discutent.
1er Soldat
Je trouve que c’est ridicule de discuter sur de telles choses.
Narraboth
Qu’elle est belle, la princesse Salomé[,] ce soir. Qu’elle est belle !
Page
(inquièt)
Vous la regardez toujours. Vous la regardez trop ! Il ne faut pas regarder les gens de cette façon. Il peut arriver un malheur.
Narraboth
Elle est très belle ce soir.
1er Soldat
Le tétrarque a l’air très sombre.
2d Soldat
Oui, il a l’air sombre.
1er Soldat
Qui regarde-t-il ?
2d Soldat
Je ne sais pas.
Narraboth
Comme la princesse est pâle. Jamais je ne l’ai vue si pâle. Elle ressemble au reflet d’une rose blanche dans un miroir d’argent.
Page
(très inquièt)
Il ne faut pas la regarder. Vous la regardez trop. Je vous prie de ne pas la regarder.
Voix d’Iokanaan
(dans la citerne)
Après moi viendra un autre encore plus puissant que moi. Je ne suis pas digne même de délier la courroie de ses sandales. Quand il viendra[,] la terre déserte se réjouira. Quand il viendra, les yeux des aveugles verront le jour. Quand il viendra[,] les oreilles des sourds seront ouvertes.
2d Soldat
Faites-le taire.
1er Soldat
Mais non : c’est un saint homme.
2d Soldat
Il dit toujours des choses absurdes.
1er Soldat
Il est très doux. Chaque jour[,] je lui donne à manger ; il me remercie toujours.
Cappadocien
Qui est-ce ?
1er Soldat
C’est un prophète.
Cappadocien
Quel est son nom ?
1er Soldat
Iokanaan.
Cappadocien
D’où vient-il ?
1er Soldat
Du désert. Une grande foule de disciples le suivait.
Cappadocien
De quoi parle-t-il ?
1er Soldat
Il est impossible de le comprendre.
Cappadocien
Peut-on le voir ?
1er Soldat
Non. Le tétrarque ne le permet pas.
Narraboth
Mais la princesse se lève. Elle quitte la table. Elle a l’air très ennuyée ! Elle vient par ici.
Page
Ne la regardez pas.
Narraboth
Ah ! Elle vient par ici, vers nous !
Page
Je vous prie, ne la regardez trop.
Narraboth
Elle est comme une colombe qui s’est éga-
Deuxième Scène
(Entre Salomé)
-rée !
Salomé
Je ne resterai pas. Je ne peux pas rester. Pourquoi le tétrarque me regarde-t-il toujours avec ses yeux de taupe sous ses paupières tremblantes ? C’est étrange que le mari de ma mère me regarde comme cela. Comme l’air est frais ici. Enfin, ici on respire ! Là-dedans il y a des Juifs de Jérusalem qui se déchirent à cause de leurs ridicules cérémonies … Des Égyptiens subtils, silencieux … Des Romains avec leur lourdeur, leur brutalité, leurs gros mots. Ah ! que je déteste les Romains !
Page
(à Narraboth)
Oh ! Il va arriver un malheur. Pourquoi la regarder ?
Salomé
Que c’est bon de voir la lune. On dirait une toute petite fleur d’argent. Froide et chaste. Elle a la beauté d’une vierge … Je suis sûre qu’elle est vierge.
Voix d’Iokanaan
Il est venu, le Seigneur ! Il est venu[,] le fils de l’Homme.
Salomé
Qui a crié cela ?
2d Soldat
C’est le prophète, princesse.
Salomé
Ah ! le prophète. Celui dont le tétrarque a peur ?
2d Soldat
Nous ne savons rien de cela, princesse. C’est le prophète Iokanaan.
Narraboth
(à Salomé)
Voulez-vous que je commande votre litière, princesse ? Il fait très beau dans le jardin.
Salomé
Il dit des choses monstrueuses à propos de ma mère, n’est-ce pas ?
2d Soldat
Nous ne comprenons jamais ce qu’il dit, princesse.
Salomé
Oui, il dit des choses monstrueuses d’elle.
Un Esclave
(entrant)
Princesse, le tétrarque vous prie de retourner au festin.
Salomé
(impétueux)
Je n’y retournerai pas.
(L’esclave sort.)
Salomé
Est-ce un vieillard, le prophète ?
Narraboth
(insistant)
Princesse, il vaudrait mieux retourner. Permettez-moi de vous reconduire.
Salomé
Le prophète … est-ce un vieillard ?
1er Soldat
Non, princesse, c’est un tout jeune homme.
Voix d’Iokanaan
Ne te réjouis point, terre de Palestine, parce que la verge de celui qui te frappait a été brisée. Car de la race du serpent il sortira un basilic, et ce qui en naîtra dévorera les oiseaux.
Salomé
Quelle étrange voix. Je voudrais bien lui parler.
2d Soldat
Princesse, le tétrarque ne veut pas qu’on lui parle. Il a même défendu au grand-prêtre de lui parler.
Salomé
Je veux lui parler.
2d Soldat
C’est impossible, princesse.
Salomé
(toujours plus violent)
Je le veux. Faites sortir le prophète.
2d Soldat
Nous n’osons pas, princesse.
Salomé
(s’approchant de la citerne et y regardant)
Comme il fait noir là-dedans ! Cela doit être terrible d’être dans un trou si noir ! Cela ressemble à une tombe … (aux soldats, féroce) Vous ne m’avez pas entendue ? Faites-le sortir. Je veux le voir.
1er Soldat
Je vous prie, princesse, de ne pas nous demander cela.
Salomé
(regardant le jeune Syrien)
Ah !
Page
Oh ! qu’est-ce qui va arriver ? Je suis sûr qu’il va arriver un malheur.
Salomé
(s’approchant du jeune Syrien)
(parlant doucement et avec une grande vivacité)
Vous ferez cela pour moi, pour moi, n’est-ce pas, Narraboth ? Pour vous[,] j’ai toujours été très douce. Vous ferez cela pour moi. Je veux seulement le regarder[,] cet étrange prophète. On a tant parlé de lui. Je pense qu’il a peur de lui, le tétrarque.
Narraboth
Le tétrarque a formellement défendu qu’on lève le couvercle de ce puits.
Salomé
Vous ferez cela pour moi, Narraboth, (très vite) et demain, quand je passerai dans ma litière sous la porte des vendeurs d’idoles, (toujours à voix basse) je laisserai tomber pour vous une petite fleur, une petite fleur verte.
Narraboth
Princesse, je ne peux pas, je ne peux pas.
Salomé
(souriant)
Vous ferez cela pour moi, Narraboth. (plus décidément) Vous savez bien que vous ferez cela pour moi. Et demain je vous regarderai à travers les voiles de mousseline, Narraboth, je vous regarderai, peut-être je vous sourirai, je vous sourirai. Narraboth, regardez-moi ! Ah ! vous savez bien que vous allez faire ce que je vous demande. Vous le savez bien. Moi, je le sais bien.
Narraboth
(faisant un signe au second soldat)
Faites sortir le prophète … La princesse Salomé veut le voir.
Salomé
Ah !
(Le prophète sort de la citerne.)
Troisième Scène
(Salomé le regarde et recule.)
Iokanaan
(fort)
Où est celui dont la coupe d’abominations est déjà pleine ? Où est celui qui en robe d’argent mourra un jour devant tout le peuple ? Dites-lui de venir afin qu’il puisse entendre la voix de celui qui a crié dans les déserts et dans les palais des rois.
Salomé
De qui parle-t-il ?
Narraboth
On ne sait jamais, princesse.
Iokanaan
Où est celle[,] ayant vu des hommes peints sur la muraille, qui s’est laissée emporter à la concupiscence de ses yeux et a envoyé des ambassadeurs en Chaldée ?
Salomé
(sotto voce)
C’est de ma mère qu’il parle.
Narraboth
Mais non, princesse.
Salomé
(languissante)
Si, c’est de ma mère.
Iokanaan
Où est celle qui s’est abandonnée aux capitaines des Assyriens ? Où est celle qui s’est abandonnée aux jeunes hommes d’Égypte qui sont vêtus de linge et d’hyacinthe et portent des boucliers d’or et des casques d’argent et qui ont de grands corps. Dites-lui de se lever de la couche de son impudicité, de sa couche incestueuse, afin qu’elle puisse entendre les paroles de celui qui prépare la voie du Seigneur ; afin qu’elle se repente de ses péchés. Quoiqu’elle ne se repentira jamais[,] dites-lui de venir, car le Seigneur a son fléau dans la main.
Salomé
Mais il est terrible, il est terrible, terrible.
Narraboth
Ne restez pas ici, princesse, je vous en prie.
Salomé
Ce sont les yeux surtout qui sont terribles. On dirait des cavernes noires où demeurent des dragons. On dirait des lacs noirs troublés par des lunes fantastiques … Pensez-vous qu’il parlera encore ?
Narraboth
(toujours plus insistant)
Ne restez pas ici, princesse ! Je vous prie de ne pas rester ici.
Salomé
Comme il est maigre aussi ! Il ressemble à une mince image d’ivoire. Je suis sûre qu’il est chaste autant que la lune. Sa chair doit être très froide, froide comme l’ivoire … Je veux le regarder de près.
Narraboth
Non, non, princesse.
Salomé
Il faut que je le regarde de près.
Narraboth
Princesse ! Princesse !
Iokanaan
Qui est cette femme qui me regarde ? Je ne veux pas qu’elle me regarde. Pourquoi me regarde-t-elle avec ses yeux d’or sous ses paupières dorées ? Je ne sais pas qui c’est. Je ne veux pas le savoir. Dites-lui de s’en aller. Ce n’est pas à elle que je veux parler.
Salomé
Je suis Salomé, fille d’Hérodias, princesse de Judée.
Iokanaan
Arrière ! Fille de Babylone ! N’approchez pas de l’élu du Seigneur. Ta mère a rempli la terre du vin de ses iniquités, et le cri de ses péchés est arrivé aux oreilles de Dieu.
Salomé
Parle encore, Iokanaan. Parle encore, Iokanaan. Ta voix m’enivre.
Narraboth
Princesse ! Princesse ! Princesse !
Salomé
Mais parle encore, Iokanaan, et dis-moi ce qu’il faut que je fasse.
Iokanaan
Fille de Sodome, ne m’approchez pas ! Mais couvrez votre visage avec un voile, mettez des cendres sur votre tête, et allez dans le désert chercher le fils de l’Homme.
Salomé
Qui est-ce, le fils de l’Homme ? Est-il aussi beau que toi, Iokanaan ?
Iokanaan
Arrière ! Arrière ! J’entends dans le palais le battement des ailes de l’ange de la mort …
Salomé
Iokanaan !
Narraboth
Princesse, je vous supplie de rentrer !
Salomé
Iokanaan ! Je suis amoureuse de ton corps, Iokanaan ! Ton corps est blanc comme le lis, le lis d’un pré que le faucheur n’a jamais fauché. Ton corps est blanc comme les neiges sur les montagnes de Judée. Les roses du jardin de la reine d’Arabie ne sont pas aussi blanches que ton corps. Ni les roses de la reine d’Arabie[,] ni les pieds de l’aurore sur les feuilles, ni le sein de la lune quand elle couche sur le sein de la mer. Il n’y a rien au monde aussi [sic] blanc que ton corps. Laisse-moi toucher, toucher ton corps.
Iokanaan
Arrière, fille de Babylone ! C’est par la femme que le mal est entré dans le monde. Ne me parlez pas. Je ne veux pas t’écouter. Je n’écoute que les paroles du Seigneur Dieu.
Salomé
Ton corps est hideux. Il est comme le corps d’un lépreux. Il est comme un mur de plâtre où les vipères sont passées, comme un mur de plâtre où les scorpions ont fait leur nid. Il est comme un sépulcre blanchi qui est plein de choses dégoûtantes. Il est horrible. Il est horrible ton corps ! … C’est de tes cheveux que je suis amoureuse, Iokanaan. Tes cheveux ressemblent à des grappes de raisins, des raisins noirs qui pendent des vignes d’Édom dans le pays des Édomites. Tes cheveux sont comme les cèdres, les grands cèdres du Liban ; les cèdres qui donnent de l’ombre aux lions et aux voleurs. Les longues nuits noires, les nuits où la lune ne se montre pas, où les étoiles ont peur[,] ne sont pas aussi noires. Le silence dans les forêts[.] Il n’est rien au monde aussi [sic] noir que tes cheveux. Laisse-moi toucher, toucher tes cheveux.
Iokanaan
Arrière, fille de Sodome ! Ne me touchez pas. Il ne faut pas profaner le temple du Seigneur Dieu.
Salomé
Tes cheveux sont horribles. Ils sont couverts de boue et de poussière. On dirait une couronne d’épines qu’on a placée sur ton front. On dirait un nœud de serpents noirs qui se tordent autour de ton cou. Je n’aime pas tes cheveux … C’est de ta bouche que je suis amoureuse, Iokanaan. C’est de ta bouche que je suis amoureuse, Iokanaan. Ta bouche est comme une bande d’écarlate sur une tour d’ivoire. Elle est comme une pomme de grenade coupée par un couteau d’ivoire. Les fleurs de grenade dans les jardins de Tyr[,] plus rouges que les roses[,] ne sont pas aussi rouges. Les cris rouges des trompettes qui annoncent l’arrivée des rois et font peur à l’ennemi[,] ne sont pas aussi rouges que ta bouche. Ta bouche est plus rouge que les pieds de ceux qui foulent le vin dans les pressoirs. Elle est plus rouge que les pieds des colombes qui demeurent dans les temples. Ta bouche est comme une branche de corail dans le crépuscule de la mer, le vermillon que les rois prennent dans les mines de Moab … (éperdue) Il n’y a rien aussi [sic] rouge que ta bouche. Ta bouche laisse-moi baiser.
Iokanaan
(à voix basse, d’un sourd frisson)
Jamais, fille de Babylone ! Fille de Sodome ! Jamais !
Salomé
Je baiserai ta bouche, Iokanaan. Je baiserai ta bouche …
Narraboth
(désespéré)
Princesse, princesse, toi qui es comme un bouquet de myrrhe, toi qui es la colombe des colombes, ne regarde pas cet homme. Ne lui dis pas de telles choses. Je ne peux pas les souffrir.
Salomé
Je baiserai ta bouche, Iokanaan. Je baiserai ta bouche …
(Narraboth se tue et tombe entre Salomé et Iokanaan.)
Salomé
Je baiserai ta bouche, Iokanaan.
Iokanaan
N’avez-vous pas peur, fille d’Hérodias ?
Salomé
Laisse-moi baiser ta bouche, Iokanaan.
Iokanaan
Fille d’adultère, il n’y a qu’un homme qui puisse vous sauver. Allez le chercher[.] C’est celui dont je t’ai parlé. Il est dans un bateau sur la mer de Galilée[,] et il parle à ses disciples. Agenouillez-vous au bord de la mer et appelez-le, appelez-le par son nom. Quand il viendra vers vous, et il vient vers tous ceux qui l’appellent, prosternez-vous à ses pieds et demandez-lui la rémission de vos péchés.
Salomé
(désespérée)
Je baiserai ta bouche, Iokanaan.
Iokanaan
Soyez maudite, fille d’une mère incestueuse, soyez maudite.
Salomé
Je baiserai ta bouche, Iokanaan.
Iokanaan
Je ne te regarderai pas. Tu es maudite, Salomé. Tu es maudite, tu es maudite. Tu es maudite.
(Il descend dans la citerne.)
Quatrième Scène
(Entrée d’Hérode, d’Hérodias et de toute la cour)
Hérode
Où est Salomé ? Où est la princesse ? Pourquoi n’est-elle pas retournée au festin comme je le lui avais commandé ? (apercevant Salomé accroupie derrière la citerne) Ah ! la voilà !
Hérodias
Il ne faut pas la regarder. Vous la regardez toujours.
Hérode
La lune a l’air très étrange ce soir. N’est-ce pas, très étrange ? On dirait une femme hystérique qui va chercher des amants partout. N’est-ce pas qu’elle chancelle comme une femme ivre …
Hérodias
Non. La lune ressemble à la lune, c’est tout. Rentrons !
Hérode
Je resterai. Manassé, mettez des tapis là. Allumez des flambeaux. Je boirai encore du vin avec mes hôtes. Ah ! j’ai glissé ! j’ai glissé dans le sang. C’est un mauvais présage. Pourquoi y a-t-il du sang ici ? Et ce cadavre ? Que fait ici ce cadavre ? Enfin, qui est-ce ? Je ne veux pas le regarder.
1er Soldat
C’est notre capitaine, Seigneur.
Hérode
Je n’ai donné aucun ordre de le tuer.
1er Soldat
Il s’est tué lui-même, Seigneur.
Hérode
Cela me semble étrange. Le jeune Syrien[,] il était beau. Je me rappelle que je l’ai vu regardant Salomé d’une façon langoureuse … Emportez-le …
(On emporte le cadavre.)
Hérode
Il fait froid ici. Il y a du vent ici. N’est-ce pas qu’il y a du vent ?
Hérodias
(sèchement)
Mais non. Il n’y a pas de vent.
Hérode
Mais si, il y a du vent … Et j’entends dans l’air quelque chose comme un battement d’ailes, d’ailes gigantesques. Ne l’entendez-vous pas ?
Hérodias
Je n’entends rien.
Hérode
Je ne l’entends plus moi-même. Mais je l’ai entendu. C’était le vent sans doute. C’est passé. Mais non, je l’entends encore. Ne l’entendez-vous pas ? C’est tout à fait comme un battement d’ailes …
Hérodias
Vous êtes malade. Rentrons.
Hérode
Je ne suis pas malade. C’est votre fille qui a l’air très malade. Jamais je ne l’ai vue si pâle.
Hérodias
Je vous ai dit de ne pas la regarder.
Hérode
Versez du vin. (On apporte du vin.) Salomé, venez boire un peu de vin avec moi : un vin très exquis. C’est César lui-même qui me l’a envoyé. Trempez là-dedans vos petites lèvres, vos petites lèvres rouges, et ensuite je viderai la coupe.
Salomé
Je n’ai pas soif, tétrarque.
Hérode
Vous entendez comme elle me répond, votre fille ?
Hérodias
Je trouve qu’elle a bien raison. Pourquoi la regardez-vous toujours ?
Hérode
Apportez des fruits. (On apporte des fruits.) Salomé, venez, venez manger des fruits avec moi. J’aime beaucoup voir dans un fruit la morsure, la morsure de tes petites dents. Mordez un tout petit morceau de ce fruit, un tout petit morceau[,] et ensuite je mangerai ce qui reste.
Salomé
Je n’ai pas faim, tétrarque.
Hérode
(à Hérodias)
Voilà comme vous l’avez élevée[,] votre fille.
Hérodias
Ma fille et moi, nous descendons d’une race royale. Quant à toi, ton grand-père gardait des chameaux ! Aussi, c’était un voleur !
Hérode
Salomé, viens t’asseoir près de moi. Je te donnerai le trône de ta mère.
Salomé
Je ne suis pas fatiguée, tétrarque.
Hérodias
Vous voyez bien ce qu’elle pense de vous.
Hérode
Apportez … Qu’est-ce que je veux ? Je ne sais pas. Ah ! Ah ! Je m’en souviens …
Voix d’Iokanaan
Ce que j’ai prédit est arrivé. Voici le jour dont j’avais parlé.
Hérodias
Faites-le taire ! Cet homme vomit toujours des injures contre moi.
Hérode
Il n’a rien dit contre vous. Aussi, c’est un très grand prophète.
Hérodias
Je ne crois pas aux prophètes. Je sais bien que vous avez peur de lui.
Hérode
Moi, je n’ai peur de personne.
Hérodias
Si, vous avez peur de lui. Pourquoi ne pas le livrer aux juifs qui depuis six mois vous le demandent ?
1er Juif
En effet, Seigneur, il serait mieux de nous le livrer.
Hérode
Assez sur ce point. Je ne veux pas vous le livrer. C’est un saint homme. C’est un homme qui a vu Dieu.
1er Juif
C’est impossible. Personne n’a vu Dieu depuis le prophète Élie. Lui, c’est le dernier qui ait vu Dieu. En ce temps-ci[,] Dieu ne se montre pas. Il se cache. Et par conséquent il y a de grands malheurs dans le pays, de grands malheurs.
2d Juif
Enfin, on ne sait pas si le prophète Élie a réellement vu Dieu. C’était plutôt l’ombre de Dieu qu’il a vue.
3e Juif
Dieu ne se cache, ne se cache jamais. Il se montre toujours et dans toute chose[.] Dieu est dans le mal comme dans le bien.
4e Juif
Il ne faut pas dire cela. C’est une idée très dangereuse d’Alexandrie. Et les Grecs sont des gentils.
5e Juif
On ne peut pas savoir comment Dieu agit, ses voies sont très mystérieuses. Le nécessaire c’est de se soumettre à tout. Dieu est très fort.
1er Juif
C’est vrai cela. Dieu est terrible. Mais cet homme, cet homme n’a jamais vu Dieu. Personne n’a vu Dieu depuis le prophète Élie. C’est le dernier, c’est le dernier qui ait vu Dieu. En ce temps-ci Dieu ne se montre pas, ne se montre pas, ne se montre pas. Dieu se cache. Dieu se cache. Il y a de grands malheurs dans le pays. Il y a de grands malheurs dans le pays. Il y a de grands malheurs, grands malheurs dans le pays. C’est le dernier, c’est le dernier qui ait vu Dieu. C’est le dernier qui ait vu Dieu. Dieu ne se montre pas. Dieu ne se montre pas. Personne n’a vu Dieu depuis le prophète. C’est le dernier qui ait vu Dieu. Personne n’a vu Dieu depuis le prophète[.]
2d Juif
Enfin, on ne sait pas si le prophète Élie a réellement vu Dieu. C’était plutôt l’ombre de Dieu, c’était plutôt, c’était plutôt l’ombre de Dieu qu’il a vue. Enfin, on ne sait pas si le prophète Élie a réellement vu Dieu. Dieu est terrible. Il brise les faibles et les forts. Il brise en même temps les faibles et les forts. C’était plutôt l’ombre de Dieu …
3e Juif
Dieu ne se cache, Dieu ne se cache jamais. Dieu ne se cache jamais. Il se montre toujours et dans toute chose. Dieu est dans le mal comme dans le bien. Dieu ne se cache jamais. Dieu ne se cache jamais, jamais. Dieu se montre toujours et dans toute chose. Dieu est dans le mal comme dans le bien.
4e Juif
(au troisième Juif)
Il ne faut pas dire cela. C’est une idée très dangereuse d’Alexandrie. Les Grecs sont des gentils. Ils ne sont pas même circoncis. Les Grecs sont des gentils. Ils ne sont pas même circoncis. On ne peut pas savoir comment Dieu agit. Dieu est très fort. On ne peut pas savoir comment Dieu agit. Dieu est très fort, il brise les faibles et les forts. Dieu est fort.
5e Juif
On ne peut pas savoir comment Dieu agit. Ses voies sont très mystérieuses. Ses voies sont très mystérieuses. On ne peut pas savoir comment Dieu agit. Peut-être ce que nous appelons le mal est le bien. Et ce que nous appelons le bien est le mal. Il n’a aucun souci de personne.
Hérodias
(à Hérode)
Faites-les taire. Ils m’ennuient.
Hérode
Mais j’ai entendu dire que Iokanaan lui-même est votre prophète Élie.
1er Juif
Cela ne se peut pas. Depuis le temps du prophète Élie il y a plus de trois cents ans.
Un Nazaréen
Moi, je suis sûr que c’est le prophète Élie.
2d Juif
Mais non, ce n’est pas le prophète Élie.
3e Juif
Mais non, ce n’est pas le prophète Élie.
1er Juif
Ça ne se peut pas. Depuis le temps du prophète Élie il y a plus de trois cents ans.
5e Juif
Mais non, ce n’est pas le prophète Élie.
4e Juif
Mais non, ce n’est pas le prophète Élie.
Hérodias
Faites-les taire !
Voix d’Iokanaan
Le jour est venu, le jour du Seigneur, et j’entends sur les montagnes les pieds de celui qui sera le Sauveur du monde.
Hérode
Qu’est-ce que cela veut dire ? Le Sauveur du monde ?
1er Nazaréen
Le Messie est venu.
1er Juif
(criant)
Le Messie n’est pas venu.
1er Nazaréen
Il est venu, et il fait des miracles partout. À l’occasion d’un mariage qui a eu lieu dans une ville de Galilée, il a changé de l’eau en vin. Il a guéri des aveugles. On l’a vu sur une montagne parlant avec des anges.
2d Nazaréen
Aussi il a guéri deux lépreux seulement en les touchant.
Hérodias
Oh ! Oh ! Je ne crois pas aux miracles. J’en ai vu trop.
1er Nazaréen
La fille de Jaïre était morte. Il l’a ressuscitée.
Hérode
(effrayé)
Ah ! Il ressuscite les morts ?
1er et 2d Nazaréen
Oui, Seigneur. Il ressuscite les morts.
Hérode
Je ne veux pas qu’il fasse cela. Ce serait terrible si les morts revenaient. Où est-il à présent[,] cet homme ?
1er Nazaréen
Il est partout, Seigneur, mais il est très difficile de le trouver.
Hérode
Mais il faut le trouver.
2d Nazaréen
On dit qu’il est à Samarie à présent.
1er Nazaréen
Il a quitté Samarie il y a quelques jours. Moi, je crois qu’en ce moment il est dans les environs de Jérusalem.
Hérode
Enfin, je ne permets pas qu’il ressuscite les morts. Ce serait terrible si les morts revenaient.
Voix d’Iokanaan
Ah ! l’impudique ! la prostituée ! La fille de Babylone ! Voici ce que dit le Seigneur.
Hérodias
(furieuse)
Mais cʼest infâme. Faites-le taire !
Voix d’Iokanaan
Faites venir contre elle une multitude d’hommes. Que le peuple prenne des pierres et la lapide.
Herodias
C’est infâme, c’est infâme !
Voix d’Iokanaan
Que les capitaines de guerre la percent de leurs épées, qu’ils l'écrasent sous leurs boucliers !
Hérodias
Faites-le taire, faites-le taire !
Voix d’Iokanaan
C’est ainsi que j’abolirai les crimes de dessus la terre, et que toutes les femmes apprendront à ne pas imiter les abominations de celle-là.
Hérodias
Vous entendez ce qu’il dit contre moi ? Vous le laissez insulter votre épouse ?
Hérode
Mais il n’a pas dit votre nom.
Voix d’Iokanaan
(solennel)
En ce jour-là[,] le soleil deviendra noir comme un sac de poil, et la lune deviendra comme du sang, et les étoiles du ciel tomberont sur la terre comme les figues vertes tombent d’un figuier. En ce jour-là[,] les rois de la terre auront peur.
Hérodias
Ah ! Ah ! Ce prophète parle comme un homme ivre … Mais je ne peux pas souffrir le son de sa voix[.] Je déteste sa voix. Ordonnez qu’il se taise.
Hérode
Salomé, dansez pour moi.
Hérodias
(violent)
Je ne veux pas qu’elle danse.
Salomé
(tranquille)
Ja n’ai aucune envie de danser, tétrarque.
Hérode
Salomé, fille d’Hérodias, dansez pour moi !
Salomé
Je ne danserai pas, tétrarque.
Hérodias
Voilà comme elle vous obéit.
Voix d’Iokanaan
Il sera assis sur son trône, il sera vêtu de pourpre et d’écarlate. Et l’ange du Seigneur Dieu le frappera. Il sera mangé des vers.
Hérode
Salomé, Salomé, dansez pour moi. Je suis triste ce soir. Ainsi[,] dansez pour moi, Salomé. Je vous supplie. Si vous dansez pour moi, vous pourrez me demander tout ce que vous voudrez, et je vous le donnerai.
Salomé
(se levant)
Vous me donnerez tout ce que je demanderai, tétrarque ?
Hérodias
Ne dansez pas, ma fille !
Hérode
Tout[,] tout ce que vous voudrez je vous donnerai [sic], fût-ce la moitié de mon royaume.
Salomé
Vous le jurez, tétrarque ?
Hérode
Je le jure, Salomé.
Salomé
Sur quoi jurez-vous, tétrarque ?
Hérode
Sur ma vie, sur ma couronne, sur mes dieux. Oh ! Salomé, Salomé, dansez pour moi.
Hérodias
Ne dansez pas, ma fille !
Salomé
Vous avez juré, tétrarque.
Hérode
J’ai juré, Salomé.
Hérodias
Ne dansez pas, ma fille.
Hérode
Fût-ce la moitié de mon royaume. Comme reine, comme reine[,] tu serais très belle. (frémissant) Ah ! Il fait froid ici … il y a un vent très froid, et j’entends … pourquoi est-ce que j’entends dans l’air ce battement d’ailes ? Oh ! On dirait qu’il y a un oiseau, un grand oiseau noir qui plane sur la terrasse. Pourquoi est-ce que je ne peux pas le voir, cet oiseau ? Le battement de ses ailes est terrible. C’est un vent froid … Mais non, il ne fait pas froid du tout. Il fait très chaud. Versez-moi de l’eau sur les mains. Donnez-moi de la neige à manger. Dégrafez mon manteau. Vite, vite ! Non. Laissez-le. C’est ma couronne qui me fait mal. Ces fleurs sont faites de feu.
(Il arrache de sa tête la couronne et la jette sur la table.)
Ah ! enfin, je respire. Maintenant je suis heureux. (épuisé) N’est-ce pas que vous allez danser pour moi, Salomé ?
Hérodias
Je ne veux pas qu’elle danse.
Salomé
Je danserai pour vous, tétrarque.
[Les esclaves apportent des parfums et les sept voiles et ôtent les sandales de Salomé.]
Voix d’Iokanaan
Qui est celui qui vient d’Édom, qui est celui qui vient de Bosra avec sa robe teinte de pourpre qui éclate dans la beauté de ses vêtements et qui marche avec une force toute puissante ? Pourquoi vos vêtements sont-ils teints d’écarlate ?
Hérodias
Rentrons. La voix de cet homme m’exaspère. Je ne veux pas que ma fille danse pendant qu’il crie comme cela. Je ne veux pas qu’elle danse pendant que vous la regardez comme cela. Enfin, je ne veux pas qu’elle danse.
Hérode
Ne te lève pas, mon épouse, ma reine, c’est inutile. Je ne rentrerai pas avant qu’elle ait dansé. Dansez, Salomé, dansez pour moi.
Hérodias
Ne dansez pas, ma fille !
Salomé
Je suis prête, tétrarque.
La Danse de Salomé
(Les musiciens commencent à jouer une danse effrénée.)
(Salomé encore immobile)
(Salomé se redresse et fait un signe aux musiciens qui par une transition rapide changent le rythme impétueux en une mélodie doucement berçante.)
(Salomé exécute »la danse des sept voiles«.)
(Salomé semble affaiblir un moment, puis recommence avec une fougue nouvelle.)
(Salomé reste un moment comme en extase au bord de la citerne dans laquelle Iokanaan est emprisonné – puis elle se précipite en avant aux pieds d’Hérode.)
Hérode
Ah ! Ah ! C’est magnifique, c’est magnifique ! (à Hérodias) Vous voyez qu’elle a dansé pour moi, votre fille. Approchez, Salomé ! Approchez afin que je puisse vous donner votre salaire. Toi, je te payerai bien. Je te donnerai tout ce que tu voudras. Que veux-tu, dis ?
Salomé
(doucement)
Je veux qu’on m’apporte présentement dans un bassin d’argent …
Hérode
(riant)
Dans un bassin d’argent ? mais oui, dans un bassin d’argent, certainement. Elle est charmante, n’est-ce pas ? Qu’est-ce que vous voulez qu’on vous apporte dans un bassin d’argent, ma chère et belle Salomé, vous qui êtes la plus belle de toutes les filles de Judée ? Qu’est-ce que vous voulez qu’on vous apporte dans un bassin d’argent ? Dites-moi. Quoi que cela puisse être on vous le donnera. Mes trésors vous appartiennent. Qu’est-ce que c’est, Salomé ?
Salomé
(se levant)
(souriant)
La tête d’Iokanaan.
Hérode
Non, non.
Hérodias
Ah ! C’est bien dit, ma fille. C’est bien dit.
Hérode
Non, non, Salomé ! Vous ne me demandez pas cela. N’écoutez pas votre mère. Elle vous donne toujours de mauvais conseils. Il ne faut pas l’écouter.
Salomé
Je n’écoute pas ma mère. C’est pour mon propre plaisir que je demande la tête d’Iokanaan dans un bassin d’argent. Vous avez juré, Hérode. N’oubliez pas que vous avez juré.
Hérode
Je le sais. Je le sais. Je le sais bien. J’ai juré par mes dieux. Mais je vous supplie, Salomé, de me demander autre chose. Demandez-moi la moitié de mon royaume et je vous la donnerai. Mais ne me demandez pas ce que vous m’avez demandé.
Salomé
Je vous demande la tête d’Iokanaan.
Hérode
Non, non, je ne veux pas.
Salomé
Si ! vous avez juré, Hérode.
Hérodias
Oui, vous avez juré. Tout le monde vous a entendu.
Hérode
Taisez-vous. Ce n’est pas à vous que je parle.
Hérodias
Ma fille a bien raison de demander la tête de cet homme. Il a vomi des insultes contre moi. On voit qu’elle aime beaucoup sa mère. Ne cédez pas, ma fille, ne cédez pas. Il a juré, il a juré.
Hérode
Taisez-vous. Ne me parlez pas. Voyons, Salomé, il faut être raisonnable, n’est-ce pas ? Salomé, je vous ai toujours aimée … Peut-être je vous ai trop aimée. Ainsi ne me demandez pas cela. La tête d’un homme, une tête coupée, n’est-ce pas ? c’est une chose laide ? Écoutez-moi un instant. J’ai une émeraude. C’est la plus grande émeraude du monde. N’est-ce pas que vous la voulez ? Demandez-moi cela et je vous la donnerai, la plus grande émeraude.
Salomé
Je demande la tête d’Iokanaan.
Hérode
Vous ne m’écoutez pas, vous ne m’écoutez pas. Enfin, laissez-moi parler, Salomé !
Salomé
La tête d’Iokanaan.
Hérode
Vous me dites cela seulement pour me faire de la peine, parce que je vous ai regardée toute la soirée. Votre beauté m’a terriblement troublé. Oh ! Oh ! du vin ! j’ai soif. Salomé. Salomé, soyons amis. Enfin ! voyez … Ah ! Qu’est-ce que je voulais dire ? Qu’est-ce que c’était ? Ah ! Je me souviens ! … Salomé, vous connaissez mes paons blancs, mes beaux paons blancs qui se promènent dans le jardin entre les myrtes. Il n’y a pas dans le monde d’oiseaux si merveilleux. Il n’y a aucun roi du monde qui possède des oiseaux aussi merveilleux. Je n’en ai que cent. Je vous les donnerai tous.
Salomé
Donnez-moi la tête d’Iokanaan !
Hérodias
C’est bien dit, ma fille ! (à Hérode) Vous, vous êtes ridicule avec vos paons.
Hérode
Taisez-vous ! Vous criez toujours comme une bête de proie. Votre voix m’ennuie. Taisez-vous, je vous dis … Salomé, pensez à ce que vous faites. Cet homme vient peut-être de Dieu. Je suis sûr : c’est un saint homme. Le doigt de Dieu l’a touché. Eh bien ! Salomé, vous ne voulez pas qu’un malheur m’arrive ? Enfin, écoutez-moi !
Salomé
Donnez-moi la tête d’Iokanaan.
Hérode
Ah ! Vous voyez, vous ne m’écoutez pas. Soyez calme. Moi, je suis très calme. Écoutez : (à voix basse, secrètement) J’ai des bijoux cachés ici que même votre mère n’a jamais vus, des bijoux tout à fait extraordinaires. J’ai un collier de perles à quatre rangs. J’ai des topazes jaunes comme les yeux des tigres, des topazes roses comme les yeux des pigeons, des topazes vertes comme les yeux des chats. J’ai des opales qui brûlent toujours avec une flamme qui est très froide. Je vous les donnerai tous, mais tous. (toujours plus excité) Moi, j’ai des chrysolithes et des béryls, j’ai des chrysoprases et des rubis. J’ai des sardonyx et des hyacinthes et des calcédoines. Je vous les donnerai tous, mais tous, et j’ajouterai d’autres choses. J’ai un cristal qu’il n’est pas permis aux femmes de voir. Dans un coffret de nacre j’ai trois turquoises merveilleuses. Quand on les porte sur le front on peut imaginer des choses qui n’existent pas. Ce sont des trésors de grande valeur. Enfin, que veux-tu, Salomé ? Je te donnerai tout ce que tu demanderas, sauf une chose. Je te donnerai tout ce que je possède, sauf une vie. Je te donnerai le manteau du grand-prêtre. Je te donnerai le voile du sanctuaire …
Les Juifs
Oh, oh, oh !
Salomé
(féroce)
Donnez-moi la tête d’Iokanaan.
(Hérode s’affaissant sur son siège)
Hérode
(épuisé)
Qu’on lui donne ce qu’elle demande ! C’est bien la fille de sa mère.
(Hérodias prend de la main du tétrarque la bague de la mort et la donne au premier soldat qui l’apporte immédiatement au bourreau.)
Hérode
Qui a pris ma bague ?
(Le bourreau descend dans la citerne.)
Hérode
(presque parlé)
Il y avait une bague à ma main droite. Qui a bu mon vin ? Il y avait du vin dans ma coupe. Elle était pleine de vin ! Quelqu’un l’a bu ? Oh ! Je suis sûr qu’il va arriver un malheur à quelqu’un.
Hérodias
Je trouve que ma fille a bien fait.
Hérode
Je suis sûr qu’il va arriver un malheur.
Salomé
(Elle se penche sur la citerne et écoute.)
Il n’y a pas de bruit. Je n’entends rien. Pourquoi ne crie-t-il pas, cet homme ? Ah ! Si quelqu’un cherchait à me tuer, je crierais, je me débattrais, je ne voudrais pas souffrir … Frappe, frappe, Naaman. Frappe, je te dis. Non, je n’entends rien. Il y a un silence affreux ! Ah ! quelque chose est tombée par terre. J’ai entendu quelque chose tomber. C’était l’épée du bourreau. Il a peur[,] cet esclave. Il a laissé tomber son épée. Il n’ose pas le tuer. C’est un lâche, cet esclave ! Il faut envoyer des soldats.
(Elle voit le page d’Hérodias et s’adresse à lui.)
Viens ici ! Tu as été l’ami de celui qui est mort, n’est-ce pas ? Eh bien, il n’y a pas eu assez de morts. Dites aux soldats qu’ils descendent et m’apportent ce que je demande. Ce que le tétrarque m’a promis, ce qui m’appartient.
(Le page recule.) (Elle s’adresse aux soldats.)
Venez ici, soldats. Descendez dans cette citerne et apportez-moi la tête de cet homme.
(Les soldats reculent.)
Tétrarque, tétrarque, commandez à vos soldats d’apporter la tête d’Iokanaan.
(Un grand bras noir, le bras du bourreau, sort de la citerne portant sur un bouclier d’argent la tête d’Iokanaan.)
(Salomé la saisit. Hérode se cache le visage avec son manteau. Hérodias sourit et s’évente. Les Nazaréens s’agenouillent et commencent à prier.)
Ah ! tu n’as pas voulu me laisser baiser ta bouche, Iokanaan. Eh bien ! je la baiserai maintenant. Je la mordrai avec mes dents. Je la mordrai avec mes dents comme on mord un fruit mûr. Oui, je baiserai ta bouche, Iokanaan. Je te l’ai dit, n’est-ce pas ? Je te l’ai dit. Ah ! Ah ! Je la baiserai maintenant. Mais pourquoi ne me regardes-tu pas, Iokanaan ? Tes yeux si terribles, si pleins de colère et de mépris, ils sont fermés maintenant. Pourquoi sont-ils fermés ? Ouvre tes yeux ! Soulève tes paupières, Iokanaan. Pourquoi ne me regardes-tu pas ? As-tu peur de moi, Iokanaan, que tu ne veux pas me regarder ? … Et ta langue[,] elle ne remue plus, Iokanaan, cette vipère rouge qui a vomi son venin sur moi. C’est étrange, n’est-ce pas ? Comment se fait-il que la vipère rouge ne remue plus ? Tu m’as traitée comme une courtisane … moi, Salomé, la fille de Hérodias, princesse de Judée. Eh bien ! Moi, je vis encore, mais toi, tu es mort et ta tête[,] ta tête m’appartient. Je puis en faire ce que je veux. Je puis la jeter aux chiens et aux oiseaux de l’air. Ce que laisseront les chiens[,] les oiseaux de l’air mangeront [sic] … Ah ! Ah ! Iokanaan, Iokanaan, tu étais beau. Ton corps était une colonne d’ivoire sur un socle d’argent. C’était un jardin plein de colombes et de lis, de lis d’argent. Rien au monde aussi [sic] blanc que ton corps. Rien au monde aussi [sic] noir que tes cheveux. Dans le monde tout entier il n’y avait rien aussi [sic] rouge que ta bouche … Ta voix était un encensoir qui répandait d’étranges parfums, et quand je te regardais j’entendais une musique étrange. Oh ! Pourquoi ne m’as-tu pas regardée, Iokanaan ? Tu as mis sur tes yeux le bandeau de celui qui veut voir son Dieu. Eh bien ! tu l’as vu, ton Dieu, Iokanaan. Mais moi, moi, moi […] tu ne m’as jamais vue. Si tu m’avais vue, tu m’aurais aimée. J’ai soif de ta beauté. J’ai faim de ton corps. Et ni le vin, ni les fruits ne peuvent apaiser mon désir. Que ferai-je maintenant, Iokanaan ? … Ni les fleuves, ni les grandes eaux ne pourraient éteindre ma passion. Ah ! Pourquoi ne m’as-tu pas regardée ? Si tu m’avais regardée, tu m’aurais aimée. Je sais bien que tu m’aurais aimée, et le mystère de l’amour est plus grand que le mystère de la mort …
Hérode
(à voix basse à Hérodias)
Elle est monstrueuse, ta fille, elle est tout à fait monstrueuse.
Hérodias
J’approuve ce que ma fille a fait, et je veux rester ici maintenant.
Hérode
Ah ! l’épouse incestueuse qui parle ! Viens ! Je ne veux pas rester ici.
(violent)
Viens[,] je te dis ! Je suis sûr qu’il va arriver un malheur. Cachons-nous dans notre palais. Hérodias, je commence à avoir peur.
(Un grand nuage noir passe sur la lune et la cache complètement.)
Hérode
Manassé, Issachar, Ozias, éteignez les flambeaux. Cachez la lune, cachez les étoiles !
(La scène devient tout à fait sombre.)
Il va arriver un malheur.
Salomé
(épuisée)
Ah ! J’ai baisé ta bouche, Iokanaan. Ah ! j’ai baisé ta bouche. Il y avait une âcre saveur sur tes lèvres. Était-ce la saveur du sang ? Mais peut-être est-ce la saveur de l’amour. On dit que l’amour a une âcre saveur. Mais qu’importe ? Qu’importe ? J’ai baisé ta bouche, Iokanaan. J’ai baisé ta bouche, Iokanaan.
(Un rayon de lune tombe sur Salomé et l’éclaire.)
Hérode
(se retournant et voyant Salomé)
Tuez cette femme.
(Les soldats s’élancent et écrasent sous leurs boucliers Salomé.)
verantwortlich für diesen Datensatz: Claudia Heine

Quellennachweis

Edierter Gesangstext
Richard Strauss: Salome op. 54: Weitere Fassungen: Französische Fassung und Dresdner Retouchen von 1929, hrsg. von Claudia Heine, Wien: Verlag Dr. Richard Strauss 2021 (= Richard Strauss Werke. Kritische Ausgabe, I/3b)
Textvorlage
Oscar Wilde: Salome: Drame en un Acte. Paris: Librairie de l’Art Indépendant und London: Elkin Mathews et John Lane 1893 (Bibliothèque nationale de France, Signatur RES P‑YF‑105, verwendetes Digitalisat: NUMM‑114969, https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k114969s)
Textbuch
Salome: Drame Musicale en un Acte. Poëme de Oscar Wilde. Musique de Richard Strauss, London: Methuen & Co und Berlin: Adolph Fürstner 1907 (La Monnaie Brüssel, Signatur 18064, TLIB 28)

Zitierempfehlung

Richard Strauss Werke. Kritische Ausgabe – Online-Plattform, richard‑strauss‑ausgabe.de/t10701 (Version 2021‑09‑29).